Coopération entre professionnel et non professionnel dans le champ médico-social ; Didier Favre


" quels enjeux ? Participer ce serait faire en sorte que les personnes profitent au mieux des services offerts et qu’ils s’approprient les actions montées pour eux  ? ".


Participer ?

C’est un refrain dans l’air du temps. Un remède, peut-être, à moins que …. une panacée ? Une simple évidence ? Aujourd’hui quand les professionnels et les institutions parlent de " participation " (plutôt que de " coopération " d’ailleurs), que disent-ils ? " Participer ce serait faire en sorte que les personnes profitent au mieux des services offerts et qu’ils s’approprient les actions montées pour eux ". Le plus souvent ce sont l’accès aux droits, l’autonomie et la responsabilité " des usagers " que visent les professionnels et les institutions. L’AFRESC est donc sollicitée pour faciliter cette collaboration avec leurs usagers.

Mais qui sont ces " usagers " ? Déjà nous voyons surgir un premier problème dans la question du public. En effet : il ne s’agirait pas de travailler pour la population dans son ensemble mais pour un public lui-même délimité pour et par le service concerné. Autrement dit, en tant qu’institution, il y aurait des gens qui seraient " des " usagers ou " le " public-cible et constitueraient de la sorte un public quasi " captif " au sein d’une population plus large.

La question de la participation se penserait donc d’abord dans un rapport symétrique des services aux utilisateurs. Chaque service créé ainsi son propre type d’usager ! Ce qui au demeurant fait de chacun de nous un usager particulier et spécifique de chacun des services existants et nous atomise définitivement dans l’individualisme le plus radical et le " consumérisme " …si souvent dénoncé par les institutions et les professionnels. Alors nous ne serions donc pas (ou plus) Monsieur " Untel " mais allocataire CAF ici, bénéficiaire RMI là, usager PMI aujourd’hui pour mon enfant ou moi-même, malade de l’hôpital demain … je n’aurais donc de statut que par la définition que m’en donneraient les institutions quand je les utilise.

Ce qui nous conduit à saisir cette part absolue d’extériorité de l’Institution  : en faisant frontière, en catégorisant et en captant son public elle institue le " social ". Le social est ainsi cette vaste zone occupée et instruite par les professionnels, instituant la séparation entre la société politique et les gens : pour les gens la dimension politique est médiée, filtrée par la cohorte des professionnels du social qui vont être chargés de résoudre les problèmes avant même que d’avoir été posés politiquement. Professionnels et institutions s’autonomisent dans le " social " comme le marché s’est autonomisé dans la société instituant la coupure fondatrice de " la Modernité ". Le public ici est internalisé dans le projet institutionnel ; de fait la question de la finalité (ce qui regarde vers les gens) disparaît au profit d’une transcendance de l’institution : la mission de service public.

Pour les professionnels des services il existerait donc une attention louable et positive émanant du sens même de leur mission de service, public ou associatif (statuts, objectifs, mandats, etc.), et de leur propre formation professionnelle (les valeurs, éthique et déontologie, etc.) s’exprimant dans ce désir de la participation.

La participation : exigence et/ou obligation ?

Dans un premier temps cette attente d’un meilleur lien au public peut se comprendre comme une " exigence " interne - un impératif éthique pour les professionnels - et comme une " obligation " qui s’imposent pour les institutions au regard de leur mission de service public et de la nature même de leur finalité : être et rester au service de la collectivité. Mais présenter la question de la participation de ce seul point de vue des professionnels et des institutions comme une manière " naturelle " de mettre en œuvre de nouvelles orientations pour rapprocher l’administration de ses " usagers " paraît trop simple. Posé en ces termes, qui serait contre ?

Tout se passe comme si les professionnels et les institutions demandaient justement la " participation " des populations pour mieux jouer leur rôle et remplir leur mission. Les mêmes se plaignent - particulièrement pour les actions de prévention - du manque de légitimité, de reconnaissance, de valorisation par leurs tutelles, par les politiques, mais aussi de leur public. Se faire connaître et " reconnaître " est une attente le plus souvent implicite …

Ainsi paradoxes et malentendus s’accumulent : professionnels et institutions font une offre de service et demandent au public de se mouler dans cette offre … sans la modifier (le professionnel sait ce qui est bon pour l’usager) ; et lui demandent implicitement de surcroît de valoriser l’offreur en retour. N’y voyons-nous pas la subtile rencontre du colonial et de l’indigène ?

Et pourtant, n’est-ce pas justement ce dont il s’agit : décoloniser ? Dans cette situation, au regard de l’anthropologie du don, et de la triple obligation "donner - recevoir - rendre" mis au jour par Marcel Mauss, on comprend bien que professionnels et institutions souhaitent se présenter en offreurs nets. Plaçant d’abord les usagers en situation de recevoir, ils leur imposent ensuite les modalités du " rendre ". En ce sens, les gens se retrouvent dans une double situation d’obligé.

Mais tout ceci fonctionne plutôt mal, chacun le sait et le constate. Sur le plan social les dynamiques et interactions sont pauvres, les professionnels désabusés, désillusionnés, les gens insatisfaits, les institutions sclérosées.

Une contrainte salutaire mais habituellement refusée consisterait à passer de la participation à la coopération, c’est-à-dire reconnaître aux gens le pouvoir d’agir, de contrebalancer par du vivant le poids de l’institué. Il s’agirait de rompre l’asymétrie des liens et des relations pour mettre en perspective un projet commun. Non plus participer ou faire participer au projet de l’institution mais bâtir ensemble un projet, chacun à sa place (élus, administratif, professionnel, habitant) et avec ses spécificités (professionnelles) et ses légitimités distinctes.

Représentation versus légitimité ?

En effet l’habitant s’il ne représente que lui-même en tant que personne a l’avantage, par contre, de ne pas être astreint à l’indifférenciation disciplinée des professionnels représentants l’institution. Il demeure une personne totalement unique et en cela justement légitime … appeler à ne représenter - au plus haut degré - que lui-même. Individuellement il ne parlera que de lui mais il est la parole instituante et ici instituée de tous les usagers de par son expérience irréductible, justement et éminemment subjective, en cela irremplaçable.

Entendons-nous bien, le professionnel, par loyauté, se doit de porter la voix de son institution : en ce sens il ne porte pas d’opinion en son nom propre ni n’est à proprement individué pour son institution. Le particulier lui n’a d’autre légitimité justement que d’être l’expérience elle-même. C’est cette parole propre qui occupe le champ irréductible et irréfragable du singulier. Il est bien en cela un autre niveau de réalité et de légitimité. En ce sens, en passer par la représentation des habitants est une erreur. Chacun est légitime à s’exprimer et reste irremplaçable / non représentable à ce titre. Personne d’autre - ayant ce même statut - ne peut porter cette parole en lieu et place du sujet. Chacune est spécifique et donc opposable. Unique et en cela universelle. De fait si l’on préfère alors parler de participation et non de coopération, c’est qu’implicitement on sous entend préférer implicitement l’instrumentalisation des gens pour le profit de l’institution et l’illusoire sécurité des professionnels. La participation c’est vouloir réduire la distance instituée entre offreur et receveur sans la remettre en question.

La coopération ne permet plus cet artifice car il met chaque acteur autour d’un projet. L’usager (ou la population) n’est plus au centre - comme on l’entend partout, c’est-à-dire encerclé et donc fautif en cas d’échec
- mais bien placé en position d’acteur comme chacun des partenaires.
Et tout le monde est tenu, engagé par sa propre responsabilité de faire aboutir le projet ou d’assumer ensemble l’échec. La coopération ré-institue le politique : en effet le débat et la confrontation initient la contrainte en faisant émerger le " poids " que représente les gens. En un mot, cela conduit à reconnaître leur pouvoir.
Cette contrainte forte de l’externalité du public à réintégrer dans le politique, c’est-à-dire l’agir politique, est une condition de la rencontre et la clé de la coopération - c’est-à-dire, au-delà de la participation, la conduite d’un projet décidé ensemble. Mais elle met en question le pouvoir du " social ".

Et l’on voit que la problématique de la " participation " ne peut être indemne de tensions profondes. Coopérer c’est donc faire rentrer du dilemme, obliger au débat, au doute, à la conflictualité, à l’indéterminé. Sortir de la " pulsion de l’indemne " dit Bruno Tricoire, c’est accepter d’entrer enfin dans le dilemme, et d’ouvrir le " champ des possibles " (G. Ausloos).



Didier Favre

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