Du travail en réseau - Dr Michel BASS

Du travail en réseau

Dr Michel BASS, médecin de santé publique et socio-économiste du développement

Le travail en réseau est devenu une sorte d’incantation. Ce serait l’alpha et l’oméga de ce système de santé français, bien malade, mais encore considéré et montré comme « le meilleur du monde ».

Premier constat : on pense le système de santé comme un appareil organisé de production de santé (par la production de soins essentiellement). Travailler en réseau serait un avatar de cette science de l’organisation dont le but explicite est d’améliorer la productivité du système. Et en effet, vu sous cet angle managérial, la productivité du système est bien faible. Elle nous ramène au rapport coût avantage (l’efficience) des économistes. Faible efficacité (selon le Haut Comité de la Santé Publique, elle serait de l’ordre de 10 à 20 % pour l’indicateur diminution de la mortalité générale et prématurée). Et coût exorbitant (120 milliards d’Euros par an). Rien d’étonnant à ce que l’idée du travail en réseau… de partenaires soit devenue une incantation lancinante. Le réseau serait une forme d’organisation plus efficiente du système de production de la santé. Version managériale et économiciste qui est tout sauf prouvée. La conséquence : circulaires sur les réseaux, modèles de fonctionnement, méthodologie d’évaluation des réseaux calquées sur le management et la sociologie des organisations.

Deuxième constat : l’amélioration de la santé est en grande partie engendrée par la dimension « relationnelle » de la pratique. C’est évident en psychosomatique et en médecine générale. Mais cela l’est aussi pour les pratiques plus techniques. La relation, substratum de la santé, se décline dans la relation duelle professionnel / patient comme dans la relation plurielle où professionnels et personnes sont engagées dans des projets communs dans un territoire donné. Les réseaux d’échanges réciproques de savoir en santé, l’intégration des enfants handicapés en milieu scolaire, le maintien à domicile des personnes âgées, en sont des exemples ; mais tous nos actes quotidiens sont aussi bâtis sur ce modèle : c’est parce que nous avons des réseaux que nous pouvons subvenir à nos besoins. La relation prend du temps. Le temps est même le « carburant » des pratiques relationnelles. Aucun espoir d’améliorer la productivité d’un système basé sur la relation. Sauf à le dénaturer à la source.

Troisième constat : on n’arrive pas à penser un système basé sur le relationnel autrement que d’un point de vue économiciste. Ce qui caractérise un tel point de vue, c’est la dissociation (voulue et facteur d’organisation) entre producteur (de soins) et usager (patient). Le système fabrique du service (public ou privé, ou hybride des deux) pour un public cible, donc extérieur au système de production. Comme ce qu’on fabrique a trait à l’humain (améliorer la santé de quelqu’un ne peut se faire sans lui), mais que la distance entre professionnel et usager est très grande (l’un sait, l’autre pas), on passe son temps à essayer de réduire cette distance, obstacle à la construction de la relation appropriée à la bonne marche du système de production de la santé, sans remettre en cause l’idée même et la nécessité d’une telle distance. L’idée du réseau comme organisation trouve son origine dans cette « gestion de la distance » : considérée comme nécessaire, en même temps qu’obstacle, il suffirait d’en repenser la stratégie opérationnelle. Traduit dans la langue vernaculaire du management, le réseau nécessite d’organiser et de développer… la participation (des gens au service qui leur est offert). Mais chemin faisant, on oublie que la participation, le réseau sont, dans notre vie quotidienne des systèmes de coopération équitable et non une organisation rationnelle des relations entre des individus qui baseraient leur relation sur le calcul des coûts / avantage.

 

Ainsi, pour nous, le réseau, c’est une philosophie de l’action reposant sur la réduction de cette distance entre producteurs et usagers. C’est une manière de « faire ensemble » basée sur l’équivalence et la réciprocité entre ceux qui soignent et ceux qui sont soignés. Entre les médecins et les autres professionnels. La Charte d’Ottawa de la promotion de la santé (1986) le définit très bien. Essayons donc d’y voir plus clair quand les institutions réclament du réseau, de la participation, de la promotion de la santé, de la santé communautaire. Plutôt que de réfléchir en profondeur au sens des pratiques, à leur dimension relationnelle incontournable, elles tentent en fait de résoudre leurs problèmes internes financiers et d’organisation par le management. On n’est pas sorti de l’auberge…

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