Vous avez dit appel d’offres ? Dr Michel BASS - 2005

La santé publique et la promotion de la santé doivent-elles se vendre comme des savonnettes ou des ronds-points ?

Depuis quelques temps, les collectivités publiques, sous la houlette de réglementations sur les marchés publics, ont tendance à bureaucratiser leurs relations avec les organismes qui peuvent les aider dans leur développement.

On peut comprendre l’intérêt de la concurrence : ouvrir à de nouvelles structures, développant de nouvelles méthodes, ne pas se laisser accaparer par tel ou tel cabinet. On peut douter de la réelle efficacité opératoire de ces procédures, qui oblige à faire des choix sans vraiment connaître le prestataire (compétences, idéologie). Mais là n’est pas la question la plus épineuse. Ces procédures sont en contradiction avec la méthodologie de la santé publique et de la promotion de la santé, et plus particulièrement celle de l’AFRESC.

Car en effet, et c’est une spécificité de la promotion de la santé, l’ " objet " de la démarche de santé, ce sont les gens eux-mêmes. Pour être " efficace ", un projet de santé publique doit faire en sorte que les gens adoptent des nouvelles attitudes ou transforment leurs modes de vie et leur contexte de vie (environnement social, écologique, institutionnel). La santé publique s’adresse à des personnes libres, libres de leurs choix, libres de leurs vies, et qui peuvent libérer leur temps pour faire passer la question de la santé d’une dimension purement privée et intime à une dimension collective et politique.

L’enjeu de tout projet de promotion de la santé porté par des collectivités publiques ou des associations réside dans la capacité des acteurs sociaux à autoriser et rendre possibles ces espaces d’élaboration politique. Les méthodes de la promotion de la santé sont actives. Elles supposent un travail de coopération entre experts, acteurs sociaux et population, qui ne peut se construire que dans la confiance et la durée, dans une transformation des relations habituelles de pouvoir. Développer des actions de promotion de la santé oblige les acteurs sociaux et les politiques à établir (ou renforcer) des relations actives avec la population. Ce qui, par voie de conséquence, contraint les accompagnateurs de ces processus que sont les " consultants " à bien connaître la structure de ces relations, les modes d’action des acteurs locaux pour imaginer l’accompagnement, pour penser une démarche adaptée et faisable à chaque territoire.

Autrement dit, les méthodes de promotion de la santé ne sont pas des produits finis, mais des élaborations toujours singulières dépendant des contextes et des acteurs locaux, donc dépendantes d’une connaissance suffisante du territoire.

Or, dans la procédure d’appels d’offre, il faut la plupart du temps répondre aux offres sans connaître les acteurs, le terrain, l’histoire locale, sans avoir pu élaborer en commun. L’appel d’offre occulte fondamentalement cette dimension de l’élaboration commune : à la vue d’un cahier des charges, il faut être capable de dire ce qu’on va faire et avec qui, et de dire combien cela coûte. Ce mode de réponse est en contradiction avec les principes mêmes de l’action que l’AFRESC propose… et, à l’expérience, fragilise la faisabilité des démarches participatives cependant objets de la demande. La procédure aboutit souvent à créer des malentendus car en quelques pages et en quelques minutes de rencontre (laquelle n’est même pas systématique avant le choix d’un prestataire), il n’est pas possible de bien faire comprendre la nature et la singularité d’une démarche, et ce qu’elle implique concrètement pour les acteurs locaux.

Bien sûr, il arrive que la participation soit pensée comme une technique d’animation de territoire, de développement social local. Mais qui y croit sérieusement ? Qui peut croire qu’une démarche de participation pourrait s’élaborer d’une façon purement technique ?

Mais ce n’est pas tout. L’appel d’offre lui-même est une transcription de préoccupations d’acteurs à un moment donné. Cette transcription traduit trop souvent des situations où, soit les acteurs se sentent impuissants (du point de vue du temps à consacrer à la problématique, du point de vue des compétences à mettre en œuvre pour réaliser le projet), soit la demande est ou bien totalement imprécise ou bien totalement infaisable.

Que faire dans ces circonstances ? Répondre de manière conventionnelle, sans tenir compte des difficultés ? Ne pas répondre ? Répondre en critiquant l’appel d’offre ? La procédure d’appel d’offre tend à positionner les cabinets et les consultants dans une stature de toute puissance, de capacité à faire à la place plutôt qu’accompagner à faire (on leur prête ce qu’ils n’ont en général pas - la solution à tous les problèmes, et ils prennent la position de ceux qui peuvent traiter tous les problèmes). Une fois le projet attribué à un prestataire, et du fait de la procédure du choix, il arrive que les consultants identifient des problèmes qui sortent de la commande mais dont l’analyse apparaît indispensable à la survie du projet ; dans ce cas, l’institution peut se retrouver en conflit avec le consultant. Le consultant ne peut pas tout faire, qui plus est dans un temps qu’aucune institution ne peut véritablement suivre.

En résumé, la procédure d’appel d’offre appliquée de cette manière à notre domaine rend impossible le travail sur la demande afin de faire préciser les attentes, de construire un projet, dans un cadre où la demande est justement de mettre les acteurs en projet... Un projet élaboré sur ces bases va souvent rencontrer des difficultés de réalisation. Autre avatar lié à ces procédures, répondre aux appels d’offre est devenu au fil du temps la seule manière de travailler avec les institutions publiques. Cela représente pour les consultants un temps de travail de plus en plus important et souvent en pure perte parce que non rémunéré (et parce que plus la procédure est systématique et plus les institutions ont besoin de réponses dont ils n’en garderont qu’une).

Nous pensons qu’il y aurait manière de respecter cette règle de concurrence sans tomber dans ces travers. La santé publique et plus encore la promotion de la santé ont comme principe la co-élaboration et la coopération. Ces principes méthodologiques devraient être ceux de l’institution publique quand elle a besoin de compétences extérieures.

Ce qui pour nous pourrait être une méthodologie d’appel d’offre plus cohérente par rapport aux finalités de la santé publique serait :

Etre choisis en fonction d’une présentation écrite et orale des principes théoriques, méthodologiques et éthiques, déjà mis en pratique et non en fonction d’une réponse pré formatée : choisir le cabinet qui semble le plus adapté aux buts de l’institution demandeuse.

Puis retravailler la demande et la problématique avec les commanditaires pour élaborer le projet. Cela assurerait la cohérence entre les méthodes et les finalités, et le rendrait faisable.

La règle de la concurrence pure ressort du domaine du marché, de la production de biens et de services. Comment se fait-il que les collectivités publiques se plient à tel point aux seules règles marchandes pour ce qui est de la santé et du social ?
C’est bien parce que ces démarches ne sont pas des marchandises que l’AFRESC n’est pas un bureau d’étude ou un groupe d’experts et tient à rester associatif à but non lucratif. Nous tenons à partager valeurs et buts avec les partenaires avec qui nous travaillons.

 

Dr. M. BASS

 

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