CONFUSION DU DECONFINEMENT ET PROBLEMES ETHIQUES. Michel BASS. 10 mai 2020

CONFIRMATION DE LA FIN PROGRESSIVE DE L’EPIDEMIE

Comme la courbe de "surmortalité" de Santé Publique France le laissait déjà supposer http://www.afresc.org/spip.php?arti... le 21 avril dernier, la courbe de mortalité est maintenant dans la fourchette basse pour la semaine considérée, c’est à dire il y a déjà une semaine :

Courbe de sumortalité au 5 mai 2020

Cela n’empêche pas de continuer à dire et faire comme si la situation n’était pas en train d’évoluer "naturellement", comme je le pense depuis le début vers la fin de l’épidémie, comme toutes les épidémies. De ce fait l’hypothèse d’une "seconde vague" fait le buzz. Quel est le plus probable ? Une fin d’épidémie comme toutes les épidémies ? Un rebond dont on n’a qu’un exemple, la grippe de 1918-1919, mais dans des conditions très différentes de santé publique ?

DE L’USAGE DES CARTES EN TEMPS DE GUERRE

Cette décroissance "naturelle" de toute épidémie peut être habilement dissimulée et justifier des mesures particulières de police sanitaire (telles que prévues dans le "plan de déconfinement"). Regardez les cartes de surmortalité, toujours produites par Santé Publique France : Santé Publique France 05 mai 2020

Cartes très intéressantes de plusieurs points de vue :
- Du point de vue formel : le découpage territorial, selon qu’il est départemental ou régional pourrait faire penser que l’on n’est pas en présence de la même épidémie ! Réflexion qui vaut également pour les découpages par pays. Selon le regard que l’on porte apparaissent des "réalités" différentes. Ce sont d’abord des cartes par région qui ont été montrées au public, permettant de justifier la prolongation des mesures. De même la question du découpage du temps peut faire changer le regard : le décompte des morts est fait jour après jour, semaine après semaine, laissant apparaître des chiffres effrayants. En rapportant ces chiffres à la mortalité totale dans la même période, ou sur des périodes plus longues, nous aurions des taux relatifs de mortalité beaucoup moins alarmistes. Par exemple, on pourrait rapporter le nombre de décès par COVID au nombre total de décès sur une période donnée. Sur la période rapportée des cartes (1er mars au 5 mai, et destinée à montrer la surmortalité) le nombre total de décès s’élève à environ 110 000, ce qui fait une mortalité par COVID de 23% donc très forte. Mais si on prend une période plus longue (justifiée par l’apparition du COVID dès décembre 2019), le nombre total de décès est d’environ 220 000 et la mortalité par COVID d’environ 12 %, donc bien moins alarmante. La surmortalité qui en découle n’est donc absolument pas la même et devra être observée sur le temps plus long de l’année : y aura-t-il ou non une surmortalité globale en 2020 ? Ainsi la perception de la situation dépend du regard que l’on porte sur elle, tout comme la mécanique quantique nous a appris à quel point les protocoles expérimentaux pouvaient fabriquer le résultat observé. Et de cette perception va découler la réaction, les réponses données, le théories échafaudées et les discours plus ou moins alarmistes. Nous l’avions déjà repéré avec les usages fait des modèles mathématiques. Le géographe Yves LACOSTE écrivait en 1976 que "la géographie ça sert à faire la guerre". La présentation des chiffres et des cartes a toujours une fonction de propagande dans le déroulé d’une guerre (cf. http://www.afresc.org/spip.php?arti.... Merci à Santé Publique France de faire ces présentations paradoxales.
- Du point de vue opérationnel pour le déconfinement : nous voyons bien à quel point les cartes produites par le gouvernement sont sujettes à caution et justifient la prolongation d’une politique dont la raison d’être n’est, selon moi, qu’une tentative de se disculper des mesures prises jusqu’à présent, espérant, en ne rassurant personne, faire valider cette politique par l’opinion (voir ci-après les extraits du texte de Bernadette BENSAUDE-VINCENT).

GRIPPE ET COVID : HISTOIRES SUPERPOSABLES, COMPARAISONS LEGITIMES

Ces cartes montrent à quel point la surveillance de l’épidémie ne montre rien de spécifique, et est en tous points comparables aux épidémies de grippe, y compris la comparaison du "nombre de morts" dans le thanaton actuel, la létalité et la contagiosité. Sur ce dernier point (contagiosité) c’est à dire le fameux R0 que je critiquais dans le même article "guerre et paix" sus-cité, il apparait de plus en plus probable que des cas de COVID existaient déjà en décembre 2019 en France (selon un médecin infectiologue de l’hôpital AVICENNE à BOBIGNY), ce qui doublerait la durée de l’épidémie, et diminuerait d’autant le R0. En devenant alors peut-être même plus faible que celui de la grippe saisonnière, cela pourrait être une hypothèse d’explication de la diffusion hétérogène du virus, plus forte à l’est qu’à l’ouest, et non en nappe homogène comme le plus souvent pour la grippe. Comme on sait, plus l’épidémie dure longtemps et fait de malades, et plus le nombre de mort augmente, à contagiosité similaire. La raison pour laquelle une épidémie dure ou pas est inconnue (les épidémies de grippe peuvent durer plus de 16 semaines certaines années, et moins de 8 d’autres années, explication principale de la différence du nombre de morts). Mais ce n’est pas tout. J’ai déjà critiqué le décompte des morts Par COVID. Santé Publique France le fait remarquer à juste titre : "l’excès de la mortalité toutes causes observé au niveau national dès la semaine 12 (+17%), s’est accentué jusqu’en semaine 14 (+63%) puis s’est réduit les semaines suivantes (+52% en semaine 15 et +33% en semaine 16)(...). La hausse de la mortalité observée dans ces régions est à lier à l’épidémie de COVID-19, sans qu’il soit possible, à ce jour, d’en estimer la part attribuable précise".

Justement, cette part du COVID dans la mortalité et la morbidité commence à être questionnée. Il est possible, en tout cas la diminution des passages aux urgences pour infarctus ou AVC le suggère, que des situations cachées, ou occultées se révèlent plus tard, comme la maltraitance intra familiale, les maladies cardiovasculaires, les cancers et les décompensation psychiques. De plus certaines de ces pathologies ont été étiquetées COVID dans les certificats de décès électroniques (SPF formule cela de la manière suivante : certificats de décès qui " contenaient une mention de COVID-19 parmi les causes médicales de décès renseignées") sans pour autant en être forcément la cause principale. Le rapport de causalité entre le virus et la situation sanitaire est donc loin d’être simple et univoque. Afficher sans précaution le nombre de morts PAR COVID conduit à mélanger les décès PAR COVID, les décès AVEC COVID, les décès A CAUSE DES REPONSES (techniques de réanimation, confinement) apportées au COVID. En faisant la part de ces différents facteurs, nous serons plus à même d’évaluer la responsabilité de l’infection dans la crise actuelle. Il est certain que cette crise a pour origine le virus et la déclaration de pandémie par l’OMS. Ses conséquences sont par contre largement liées aux réponses apportées, à la désorganisation générale, à une folle collusion entre une certaine expertise scientifique et le pouvoir politique déboussolé. En particulier il sera nécessaire d’examiner les politiques publiques de confinement consécutives au manque de masques et de tests comme un facteur explicatif de la gravité de l’épidémie, plutôt que de présenter ces mesures comme nous ayant permis d’éviter des dizaines voire des centaines de milliers de morts, bref nous ayant sauvés, rendant difficile à comprendre pourquoi, alors que le virus circule encore, ces mesures ne seraient plus nécessaires. Les pays comme la Suède, Taïwan ou l’Allemagne qui n’ont pas pris de mesure de confinement généralisé ne font pas pire que nous en termes de mortalité, et souvent mieux. Rappelons toutefois la faible valeur des frontières géographiques pour établir des comparaisons : France, Allemagne, Italie ne sont, épidémiologiquement parlant, que des conventions de découpage territorial et non des barrières. En changeant les frontières (comme sur les schémas présentés plus haut), une autre réalité apparaîtrait, et nos discours devraient changer en conséquence. Les différences épidémiologiques entre l’est et l’ouest de la France ne sont pas dues à l’existence d’une frontière, de différence culturelle, et encore moins de différences politiques... Osons dire que la diffusion inégale du virus, les poches de gravité qui font la singularité de ce virus face à la grippe sont liées à sa plus faible contagiosité, qui nécessite pour se transmettre des contacts longs (dizaines de minutes) et proches (moins d’1 mètre pendant ces dizaines de minutes) pour se développer. C’est à dire le métro aux heures de pointe ou les salles de concert éventuellement. Mais sûrement pas les crèches (les enfants ne risquent rien, et leurs enseignants n’ont pas plus de 65 ans), les magasins ou les parcs. Bizarrement toutes ces questions qui se posent à propos de cette épidémie ne se sont pas posées de la même façon avec les épidémies de grippe, alors même que des difficultés équivalentes avaient déjà été pointées dans le passé, sans déclencher de telles réponses toxiques. La comparaison est cependant légitime et, en lisant le texte ci-dessous, l’hypothèse de la similitude épidémiologique entre grippe et COVID se renforce, et se renforce la stupéfaction devant les réponses proposées cette année.

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GRIPPE janvier 2017

En effet Damien Mascret, publiait le 11/01/2017 un texte à propos de l’épidémie de grippe de l’hiver 2016/2017 dont voici 2 extraits : "Alors que le pic épidémique n‘est toujours pas atteint, la forte augmentation des hospitalisations menace de saturer un grand nombre d’établissements . Hôpitaux saturés, urgentistes au bord de la crise de nerfs, personnels pointant le résultat d’une politique obsédée par l’ambulatoire (sans hospitalisation) ayant conduit à une réduction du nombre de lits disponibles à l’hôpital. (...). L’ombre des 18.300 morts de l’épidémie de 2014-2015 est dans tous les esprits. Épidémie de grippe : « la situation est maîtrisée », rassure Marisol Touraine. La ministre de la Santé Marisol Touraine a affirmé jeudi que les hôpitaux font face à « une situation sous tension » mais « maîtrisée » alors que la France traverse le pic d’une épidémie de grippe hivernale particulièrement importante cette année. Le pic épidémique cette année n’est pourtant pas encore atteint et ne le sera que la semaine prochaine, selon le directeur de Santé publique France, François Bourdillon. Mercredi, devant la presse réunie dans la salle de crise du ministère de la Santé, Marisol Touraine a prévenu : « Le bilan de la grippe cette année sera probablement lourd puisque le nombre de personnes malades est particulièrement important. » Mais l’heure n’est pas encore au bilan, il est à la gestion d’une crise sanitaire. Mercredi, la ministre de la Santé s’est efforcée d’étouffer un début de polémique sur l’embouteillage observé aux urgences et dont la presse s’est fait l’écho.« Depuis mardi, nous constatons une tension accrue dans un nombre important d’établissements, a concédé la ministre, 142 hôpitaux (sur 850) ont transmis des signaux en ce sens. » (...). « Jusqu’à aujourd’hui toutes les personnes qui avaient besoin d’être traitées l’ont été dans les meilleures conditions possibles et il s’agit de s’assurer que cela va continuer à être le cas ». « En trois jours, on est passé de 86 à 142 établissements qui avaient déclenché le dispositif hôpital en tension », constate Anne-Marie Armanteras de Saxcé, la directrice générale de l’offre de soins. « Mais la tension ne veut pas dire le débordement », insiste-t-elle. « Le système de santé répond parfaitement » ...

Précisons pour le COVID : toutes les personnes qui avaient besoin d’être traitées l’ont été. Ce qui a posé problème est le type de traitement (réanimation, intubation, ventilation) que les réanimateurs eux-mêmes questionnent aujourd’hui et qui a contribué à engorger les services de réanimation, déjà en tension permanente du fait de la politique hospitalière menée depuis plus de 20 ans. Malgré ces conditions d’exercice, conséquences évidentes de la bureaucratisation et de l’industrialisation de la santé (Cf. Frédéric PIERRU & coll : la casse du siècle, et Stéphane VELUT l’hôpital une nouvelle industrie), les soignants ont assuré leur mission. Cela n’en fait pas des héros. Juste des gens qui ont de la conscience professionnelle.

LA GEOGRAPHIE ÇA SERT A FAIRE LA GUERRE. POURQUOI DES SCIENTIFIQUES SE PRETENT-ILS A CE JEU ?

Pour Bernadette BENSAUDE-VINCENT, enseignante à l’université PARIS 1 Panthéon Sorbonne (https://theconversation.com/penser-...) l’espèce de déviationnisme scientifique qu’elle pointe est le résultat d’une crise profonde ressemblant curieusement au mal qui ronge le système de santé. Remarquant la similitude entre l’idée de l’expertise et le modèle de réponse apporté à l’épidémie l’auteure examine le modalités du recours à l’expertise scientifique et médicale : " l’appel à l’expertise scientifique et médicale partage un point commun avec le modèle archaïque de gestion des épidémies : c’est que le public est réduit au silence, sommé d’obéir aux injonctions du pouvoir ou bien des experts, pour son bien, pour sa sécurité".(...)

Mais si ce recours archaïque à une "science brahmane" (le savoir détenu par une caste, voire dans une collusion avec la caste détenant le pouvoir, tels les clercs et les seigneurs féodaux. Cf. Thomas PIKETTI, capital et idéologie) et ses solutions non moins archaïques (le confinement et les brigades sanitaires renvoient à la gestion de la peste) doit nous interroger sur ce qui le rend possible. En fait "la science" n’est pas le parangon de vertu dont elle se réclame (d’ailleurs, LA science n’existe pas, il n’y a que des scientifiques et une certaine éthique de la vérité, malheureusement pas si respectée que cela). Car en effet "il est clair désormais, aux yeux de tous, que les chercheurs défendent eux aussi leurs intérêts et leurs valeurs, que ce soit la vérité, l’utilité, l’avancement des connaissances, ou leur carrière. Ces intérêts sont parfois difficilement compatibles avec le devoir de scepticisme organisé qui reste l’un des grands principes de l’ethos scientifique".

Nous ne sommes plus loin d’un retour à l’ancien régime et ses sociétés trifonctionnelles (noblesse, clergé, tiers état). Car en effet, les décisions sont prises au plus haut niveau de l’Etat, sans tenir compte de l’opinion publique, sans faire confiance aux gens. Il est vrai que les gens sont tellement apeurés qu’ils ne savent plus quoi faire, qu’ils n’osent plus rien faire, même renvoyer leurs enfants à l’école ! Pour Bernadette BENSAUDE-VINCENT, il y a choc entre une hyper modernité de la science, permettant une bien meilleure observation et l’archaïsme des réponses. D’un côté un système statistique et de mesures médicales développé dans le sillage ou entrainant avec elle la médecine, lui procurant un sentiment croissant de toute puissance, et de l’autre côté des pratiques "comme si" on ne pouvait pas faire mieux que dans les grandes épidémies du passé. Elle rappelle que Michel Foucault soulign[ait] le contraste entre ce modèle archaïque de la quarantaine où un pouvoir souverain autoritaire régit depuis un état central la vie des populations, et les dispositifs stratégiques de contrôle diffus de la vie mis en place depuis « le décollage médical et sanitaire de l’Occident » grâce à la médecine scientifique. Or la plupart de ces dispositifs basés sur la science – mesures statistiques des taux de mortalité et de morbidité, hygiène, vaccinations, contrôle des flux migratoires – se retrouvent dans la gestion actuelle de la crise, côte à côte avec des mesures archaïques que l’on croyait depuis longtemps périmées (...). Mais peut-être est-ce lié au fait que dans la crise actuelle les mesures de quarantaine visent aujourd’hui avant tout à sauver le système hospitalier et non pas la population.

CONFUSION DU DECONFINEMENT : PAS D’AMELIORATION DE LA POLITIQUE MENEE EN VUE

Nous avons assisté pendant 1 semaine à une valse de présentation des cartes des départements plus ou moins à risque : comme si les départements étaient des entités étanches. Ce qui se passe en Seine Saint Denis n’a rien à voir avec ce qui se passe en Seine et Marne ou dans la Marne, n’est-ce pas ? Nous avons vu plus haut à quel point les cartes ne faisaient que refléter un certain point de vue et étaient insuffisantes pour nous rendre compte de la situation réelle vécue par les gens. Malgré cela, les cartes reposant sur 2 ou 3 indicateurs seulement (nombre de passage aux urgences pour suspicion de COVID, nombre de personnes en réanimation) suffisent au petit comité composé de quelques experts choisis par le gouvernement et quelques membres du gouvernement pour appuyer leurs décisions, pour faire accepter ces décisions à la population. Mes textes, avec maintenant un certain nombre d’autres dont certains m’ont servi de support, sont là pour témoigner de l’insuffisance de cette communication et de ce niveau d’expertise. Un débat contradictoire et approfondi, mélangeant de nombreux experts, notre représentation politique et la population aurait du et devrait être mené pour éviter de continuer à prendre des décisions restreignant dramatiquement la liberté et le mode de vie de la population. La politique menée est tout l’inverse : décisions en petit comité, sans débat avec les élus, et en menaçant et culpabilisant la population.

Des enquêtes sociales, sociologiques, épidémiologiques sont lancées. Tant mieux. Mais soyons vigilant. Celle que j’ai vu samedi n’est même pas du niveau licence (vous pouvez la consulter (mais surtout pas y répondre !) sur https://docs.google.com/forms/d/e/1...). Trop de questions, questions sur les sentiments et les impressions mais dans un mélange entre quantitatif et qualitatif, objectifs obscurs, anonymat incertain. Comme si on voulait tout savoir dans une seule enquête. La toute puissance est aussi présente dans ces démarches. Pourtant il y aurait une enquête simple et directe : évaluer la prévalence et l’incidence du COVID par une enquête en population générale par la recherche du virus sur un échantillon représentatif de la population (prélèvement nasal + PCR) et la recherche d’anticorps (prise de sang), avec 1 ou 2 questions de vérification comme "avez-vous eu des symptômes pouvant faire penser au COVID dans les 4 derniers mois" et aujourd’hui vous sentez-vous en forme". A refaire 2 et 4 semaines plus tard sur le même échantillon. Puis lancer des enquêtes purement qualitatives sur la vie, la peur, la confiance, la défiance, etc.

Dans la série les enquêtes pour rien mais coûteuses, l’incitation (ou l’obligation ?) de faire des dépistages nasaux à tous les résidents et tout le personnel des EHPAD. Mieux vaudrait réserver le coût de tels tests à payer des experts aptes à réaliser une enquête rigoureuse. Au lieu de quoi, nous aurons des résultats locaux, non exhaustifs, non comparables et de faible valeur : d’une part à cause de l’incertitude du test (sensibilité semble-t-il médiocre avec peut-être 30 % de faux négatifs, et sûrement aussi des faux positifs). Faible valeur aussi par le fait qu’un test un jour donné ne détecte pas les personnes nouvellement contaminées, et ne donne qu’une image imparfaite de la prévalence. Erzatz d’exhaustivité : passeront au travers du test une partie des soignants (ceux qui ne travaillaient pas les jours du prélèvement ou qui refusent) et une partie des résidents (nombreux refus à prévoir). Faible valeur parce que ne rentrant dans aucun protocole précis, et conduisant à la seule production de données brutes, à l’image de ce qu’il se passe depuis le début de l’épidémie. Et pour finir un grand flou sur les mesures à prendre en cas de positivité chez les soignants en cas d’absence de symptôme : isoler ? Attendre les symptômes et continuer son travail ?

A la suite du scandaleux manque de tests nécessaires pour contrôler un minimum la transmission ( par l’isolement des seuls malades), voilà une scandaleuse utilisation des tests, faits de manière indifférenciée à tout le monde, au petit bonheur la chance. D’autant que ces tests ne sont actuellement disponibles que dans les labos privés, à 60 € environ le test. Il faut réserver les tests aux personnes symptomatiques, et encore pas de façon automatique, mais après un soigneux diagnostic différentiel par un médecin attentif à l’existence d’autres pathologies que le COVID, même en période d’épidémie (comme la difficulté à Mayotte de différencier Dengue et Covid, que l’on peut d’ailleurs avoir simultanément).

Non moins éthiquement scandaleuse est la manière dont les visites des familles sont organisées dans les établissements médico-sociaux, empêchant toute intimité. S’il est légitime d’éviter que des gens extérieurs au personnel rentrent dans les services (on organise les visites dans une pièce réservée), s’il est légitime de leur demander de respecter les gestes barrières, il est beaucoup moins légitime de leur imposer, une fois ces précautions prises, la présence d’un cadre du service pendant la (courte) durée de la rencontre. Les personnes résidentes n’ont pas vu leurs enfants ou leurs familles depuis 2 mois. Elles ont sans doute des choses intimes à se dire. La soi-disant nécessité de la présence d’un tiers professionnel relève de la suspicion à l’égard des visiteurs, qui ne seraient pas capables de respecter les consignes. En refusant de leur faire confiance, on détruit l’intimité dans une démarche éthiquement condamnable. Les résidents sont des "choses" que nous avons mission de préserver. Les familles ne sont pas capables de respecter des consignes. La défiance règne et détruit le peu d’humanité que l’on essaie de reconstruire en permettant à nouveau les visites. Beau résultat, encore, de doctrines bureaucratiques, loin des gens, et ne pensant la démocratie sanitaire que dans des notes de service.

Grande et nouvelle invention, inimitable pensée bureaucratique : les déplacements vont être limités à 100 km de chez soi. En ligne droite ? Par la route ? Et si on change de zone ? Rappelons, du strict point de vue qui préside à ce genre de mesure, à savoir limiter les contacts, que 100 km dans le cantal n’a pas du tout la même portée (du point de vue du risque de rencontre à moins d’1 mètre) que 100 km dans une grande agglomération. Mais plus encore : rencontre-t-on réellement moins de gens en 100 km qu’en 1000 ? Les personnes que je vais voir à 100 km de chez moi viennent peut-être de 100 km plus loin. Et ainsi de suite. Voilà une règle absurde. Aussi absurde que d’avoir empêché les gens d’aller se promener dans les forêts en privilégiant les trottoirs de nos villes. Où était la diminution du risque ?

Tout cela se semble pas cohérent avec le fait qu’il suffit de rester à une distance d’1 mètre les uns des autres pour éviter la transmission. Ne suffit-elle pas à diminuer le risque statistique (et non la probabilité pour chaque individu) d’être contaminé ? Le discours sur le port du masque n’est pas cohérent non plus avec cette règle de la distance : à quoi bon un masque si les rencontres avec d’autres personnes à moins d’1 mètre ne sont que furtives (comme dans les supermarchés) ? D’autant que les masques sont de nature et de qualité fort différentes : quoi de commun entre un masque en tissus fait maison, qui protège de pas grand chose et d’un masque FFP2 qui protège celui qui le porte à 90% ? En sachant, que même dans les structures sanitaires et médicosociales il n’y a pas encore assez de masques relativement à leur utilisation optimum (changement ou lavage du masque toutes les 3 heures. Changement de masque si on se touche le visage).

ALORS QUOI FAIRE ?

Tout cette politique (nommée stratégie... tellement on n’est justement plus dans la politique) est tellement floue, tellement changeante, et souvent de tellement faible valeur (les masques en tissus) qu’il conviendrait maintenant de prôner enfin une politique suffisante (c’est à dire ne supprimant pas tout risque), acceptable, faisable. Ainsi je préconise comme politique
- Le port du masque dans les seules situations précises où la distance de 1 mètre ne peut pas être respectée : les transports en commun, y compris bien entendu le covoiturage qui devrait être activement promu plutôt que limité à 2 par voiture, comme si le masque ne protégeait pas), dans les petits commerces, les cinémas, salles de théâtre, musées et salles de concert et tous lieux collectifs qui devraient rouvrir. Ces masques devraient être distribués gratuitement à l’entrée de chaque station de bus, de métro, de RER ou de train, de chaque lieu de concentration de population, et enlevés et mis dans une poubelle ad’hoc à la sortie. Les personnes chargées de distribuer des masques gratuitement et aux bons endroits seraient sans doute mieux employées qu’à faire ces enquêtes épidémiologiques autour d’un cas, comme l’assurance maladie en a été chargée, exigeant la levée du secret médical, pourtant base de la confiance.
- Réserver les dépistages par recherche virale aux seuls porteurs de symptômes bien distingués par un examen médical soigneux, du fait de la faible sensibilité du test, et aux seules personnes contact (c’est à dire : moins d’un mètre, de face, pendant au moins 15 minutes), dans un délai suffisant (quelques jours (4 à 6 ?) après un contact, délai que l’on peut raccourcir en cas de symptômes. Faire des tests sérologiques dès que l’on pourra pour éviter des quarantaines inutiles.
- Faire confiance aux gens en ne faisant que leur conseiller, en cas de suspicion de COVID et/ou de test positif, de rester chez eux, de recenser eux-mêmes les personnes qu’ils auraient pu contaminer, de les signaler eux-mêmes aux intéressés. S’il s’agit d’inconnus, ils ne seront de toute façon jamais repérés même par des enquêteurs.
- Prévoir un accompagnement (c’est prévu, cela s’appelle des ... brigades sanitaires) en cas de difficulté pour ce recensement, ou pour rester seul chez soi pendant la quarantaine, Il est entendu que ces brigades ne peuvent agir qu’à la demande des intéressés. Car envoyer des enquêteurs comme on envoie la police, c’est clairement laisser entendre qu’une personne atteinte ne pourrait, en toute confiance et en toute transparence avertir elle-même les personnes rencontrées, ou prévenir un enquêteur afin de l’aider dans sa recherche, ou faire prévenir par son médecin la personne chargée de l’aider. Notons toutefois que le confinement a laissé seules chez elles de nombreuses personnes en difficulté, et que ce n’est que maintenant que l’on commence à s’en préoccuper.
- Retrouver le chemin de la coopération, de la responsabilité et ne plus être constamment culpabilisés, accusés d’irresponsabilité, menacés (s’il il y a un rebond épidémique, c’est parce que nous aurons été de mauvais citoyens, et nous n’aurons que ce que nous méritons : un reconfinement). Le seul moyen de se sortir par le haut de cette crise, c’est à dire de valoriser la santé des gens plutôt que dramatiser à outrance les risques, serait de restaurer la confiance, de prendre au mot la charte d’Ottawa de la promotion de la santé qui stipule que la promotion de la santé est le processus qui confère aux individus et aux populations un plus grand contrôle sur leur propre santé .

NOUS AVONS PRIS LE CHEMIN INVERSE, MAIS TOUT N’EST PAS PERDU.

Nous avons malheureusement pris le chemin exactement inverse. Cela n’est pas étonnant : le confinement est le résultat d’une menace et d’un manque de confiance, comment aurait-il pu en être autrement du déconfinement ? Ce sont les mêmes quelques personnes qui auront décidé, dans leur petit cénacle , et du confinement et du déconfinement. A leur décharge cependant : le confinement était tellement brutal et absurde qu’il doit leur être très difficile de se sortir de la nasse dans laquelle ils se sont mis eux-mêmes. Cela me fait dire que ce n’est donc pas la santé qui est promue dans les mesures censées nous protéger (d’ailleurs il a fallu proroger un état d’urgence pour ce faire), mais bien plutôt le système politique et économique qu’il s’agit de préserver comme on peut. Sauve qui peut. Si le capitaine du TITANIC a disparu avec son navire, il n’a pas été capable de faire remplir les canots de sauvetage, ce qui a augmenté le nombre de mort. Serions-nous sur le paquebot COVITANIC ? Notre monde sanitaire se proclamait insubmersible... Contrairement aux annonces, et donc contrairement à ce que chacun aurait voulu espérer, les mesures prises ont plutôt aggravé le problème, et vont en créer d’autres autrement plus graves et durables. Si le "capitaine" disparaît finalement, ce sera avec un lourd bilan, non pas en nombre de morts, mais en matière de restriction des libertés et en responsables d’une crise qui risque pour le coup d’être dramatique.

La question de la confiance et de la défiance est centrale. Provoquer la défiance (plus de 60% de la population ne fait plus confiance au gouvernement et à l’Etat pour gérer la crise) a cependant un effet paradoxal et rassurant : augmenter les compétences qu’ont les gens à se déjouer de mesures perçues comme abusives (enquêtes, traçage, dépistage de masse) ou mal calibrées (restriction de circulation, masques). Cela peut devenir un sport : par la dérision, par les fausses attestations, par un langage codé, les gens peuvent contourner la loi, et la contourneront d’autant plus qu’elle sera considérée comme arbitraire. Et quoi de plus arbitraire que des lois d’exception rendues possible par l’état d’urgence, lui même rendu nécessaire par la débandade généralisée du pouvoir politique ? C’est Léo STRAUSS, dans la persécution et l’art d’écrire, qui disait qu’"il vaut la peine d’examiner les effets de la contrainte ou de la persécution sur les pensées aussi bien que sur les actions (...). Si une grande majorité de la population accepte comme vraies les opinions soutenues par le gouvernement (...) ce qu’on appelle liberté de pensée revient dans un grand nombre de cas (...). Un homme dont la pensée est indépendante peut exprimer publiquement ses opinions sans dommage pourvu qu’il agisse avec prudence, (...) pourvu qu’il soit capable d’écrire entre les lignes (...) de s’autoriser des faux pas intentionnels". Agir sans ou contre la confiance, c’est provoquer la défiance, c’est conduire les gens à dissimuler leurs actes, leurs paroles, leurs écrits. Ce faisant, le pouvoir restera persuadé que les gens, acceptant manifestement les consignes, les suivent réellement, prouvant par là l’efficacité des mesures. Dans le monde soviétique, le pouvoir était toujours persuadé que tout allait bien, que les gens travaillaient pour atteindre les objectifs fixés par l’Etat, alors que prospérait le marché noir... La meilleure manière de faire lire un livre était de l’interdire...

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