Prime éducation et travail social : compétences et interactions parents-professionnels en crèche parentale. Didier FAVRE

Didier Favre

 Didier Favre, « Compétences des parents, compétences des professionnels : quelles interactions en crèche parentale ? », dans Alain Vilbrod (dir.), L’identité incertaine des travailleurs sociaux, Collection le travail du social, Paris, L’Harmattan, 2003, p.179-195.

 

PRIME ÉDUCATION ET TRAVAIL SOCIAL : COMPÉTENCES ET INTERACTIONS PARENTS-PROFESSIONNELS 

EN CRÈCHE PARENTALE

Dans le champ social, les crèches parentales représentent un mode de garde “alternatif” qui apparaît à la suite du mouvement de mai 68. Des parents, usagers et employeurs, deviennent des acteurs sociaux à part entière en fondant leur propre service. Exerçant à la fois des fonctions associatives et co-éducatives par la mise en œuvre d’un projet d’éducation collective partagé, ils interviennent aux côtés de professionnels au nom de leur “parentalité”. C’est autour de cette compétence à intervenir que nous développerons notre réflexion en interrogeant les liens entre prime éducation et travail social.

 

I – Des crèches parentales à l’ACEPP

 

Dès 1980, l’ACEP[1] fédère ces structures d’accueil autour d’un principe fort, “le parent premier éducateur de son enfant”, en visant la reconnaissance de ce mode d’accueil par les pouvoirs publics[2]. Obtenue en 1981 dans le cadre d’une circulaire pointant leur caractère d’innovation sociale, elles sont aujourd’hui dénommées “établissements à gestion parentale” par le décret du 1er août 2000. L’appellation “crèche parentale” reste une dénomination “générique” au regard de leur diversité (crèche, mini-crèche, halte-garderie, multi-accueil et périscolaire, etc.). De taille réduite, elles accueillent environ de 10 à 25 enfants âgés de 3 mois à 3 ans. Au nombre de 1500 environ, elles sont pour les 2/3 fédérées à l’ACEPP et se répartissent pour moitié entre l’urbain et le rural.

 

II – Problématiser les liens entre prime éducation et travail social

 

Il est remarquable que l’apparition, de la fin des années 60 au début des années 80, de collectifs enfants-parents “autogérés”, crèches sauvages ou parallèles rejetant le contrôle de l’État et la nécessité même de professionnels, soit conjointe d’un “âge d’or” du travail social, de sa critique et d’une certaine organisation des rapports entre l’État (providence) et la société.

 

Parallèlement, l’émergence d’une préoccupation éducative de la toute petite enfance se fait jour entre l’hôpital, l’école et le travail social avec l’apparition de professionnels dédiés à cette nouvelle fonction. Ces derniers, avec le développement des sciences humaines, proposent un point de vue nouveau sur le très jeune enfant et cherchent à se démarquer profondément de leurs prédécesseurs : ni prise en charge technique, instruction ou assistance mais une parole “au nom de” l’enfant.

 

Or depuis une dizaine d’années ce même secteur professionnel revendique son appartenance au champ du travail social[3] ; il me parait donc intéressant d’interroger et de relier ces deux phénomènes. En effet la tension persiste entre les logiques sanitaires et éducatives pour la prise en charge institutionnelle de l’enfant et concernant la place laissée aux parents. Dans ses liens avec le travail social les pratiques ne me semblent pas tant avoir changées que les discours, alors qu’il me semble que la crèche parentale marque de son côté une rupture bien plus radicale dans son rapport à l’intervention sociale[4] par la posture inédite des parents.

 

Comment expliquer ce déplacement de l’antagonisme ancien sanitaire/éducatif vers un nouveau couplage travail social / petite enfance : dépassement, déni, rupture, évitement ? Comment les crèches parentales viennent-elles interroger le travail social et ses pratiques d’intervention ?

 

III – Professionnalisation du travail social : et la petite enfance ?

 

Pour comprendre ce qu’on appelle “travail social”[5] et la place qu’y occupe (ou non ?) la petite enfance, il nous faut revenir à l’origine commune des premiers métiers d’intervention “sur” le social. Les personnels sanitaires, sociaux et éducatifs se fondent dans l’action caritative des congrégations religieuses (qui “assistent” les malades à l’hôpital général depuis le Moyen-âge) et les “bonnes œuvres” laïques ou philanthropiques de la Bourgeoisie couplées à l’avènement de la médecine (et du médico-social) du 19èmesiècle.

Ce sont ces femmes qui donneront d’abord naissance aux métiers de la Santé (infirmières d’abord, puéricultrices ensuite) puis au début du 20èmesiècle aux assistantes sociales (issues des infirmières visiteuses et surintendantes de par leur passage dans l’industrie de la “Grande guerre”) ; celles-ci obtenant un premier certificat en 1932 suivi par un véritable diplôme en 1938 et la protection de leur exercice professionnel (loi de 1946). L’apparition du métier d’éducateur spécialisé se fera au cours de la Seconde guerre mondiale (1943) dans le contexte trouble de la politique de Vichy à l’égard de la jeunesse et sera couvert par un diplôme d’état en 1967 [6].

Si l’organisation d’une garde collective du jeune enfant débute avec les salles d’asile (2-6 ans)[7] entre 1801 et 1826 ou avec  les premières crèches pour les moins de 3 ans (1844)[8] et que démarre une véritable politique de protection des enfants avec la loi Roussel de 1874, ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que sont créés dans une perspective de Santé Publique le service de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) et les premiers métiers dédiés à la petite enfance : puéricultrices (1947) et auxiliaires de puériculture[9] en vue de développer des modes de garde facilitant le “travail des mères”. La dimension éducative viendra plus tard du coté des Affaires Sociales à la suite des jardins d’enfants “sociaux”[10] (écoles maternelles privées) dirigés par les “jardinières d’enfants” (diplôme privé 1907). Les éducatrices de jeunes enfants (EJE) leur succèderont pour l’éveil, l’accueil et la garde des plus petits avec un diplôme d’état en 1973 couvrant le développement éducatif de l’enfant de 0 à 7 ans.

 

Quant à l’appellation de “travailleurs sociaux” et son recouvrement en “travail social”, cette dénomination se produit tardivement (1970) autour des deux métiers effectivement constitués à cette date (assistants sociaux et éducateurs spécialisés) dans une tentative de l’administration “d’unifier les interventions sociales” sur le mythe du “travailleur social unique”[11].

C’est pourtant dans un contexte “idéologique” d’intense critique de ces métiers que ce terme va s’imposer. Or la petite enfance ne s’est pas inscrite dans cette urgence sociale là[12] mais depuis le 19ème siècle, dans une lutte contre la mortalité infantile qui est le combat de la médecine[13] et l’un des lieux de sa prise de pouvoir, tant du côté des familles[14] que des professionnels et de ses établissements. Quant à l’intégration des professionnels de l’éducation des jeunes enfants à cette dénomination de “travail social”, au regard de leur qualification tardive elle ne peut se réaliser ; car au même moment l’enjeu est avant tout celui d’une constitution de cette intervention et de la reconnaissance d’une spécificité éducative dans la garde[15] qui va durer plus de 20 ans.

 

L’appel au travail social peut-il faire oublier la construction d’un secteur tout entier écartelé par ses contradictions, ses oppositions et se passer d’une redéfinition des problématiques d’intervention ?

Si pour les travailleurs sociaux “classiques” la tutelle ministérielle – Solidarité et Affaires Sociales – va de soi, il n’en est pas de même pour la petite enfance : ce ministère en principe “unifié” se partage en deux sous-directions “rivales” (Santé et Social) qui exercent chacune leur autorité avec leurs cadres de référence et la certification de “leurs” métiers (loi PMI de 1993 pour l’un et décret 2000 fixant les finalités du service pour l’autre). Car si plus personne aujourd’hui ne soutient la seule mission sanitaire de ces équipements, la prévalence sanitaire ou médico-sociale historique de ces établissements domine toujours les modes de garde du fait d’une tutelle médicale prégnante ; d’abord du fait de la procédure contrôle/agrément et des personnels de santé chargés de l’exercer (médecins, puéricultrices au sein de la PMI) ; de plus, la médecine “au chevet du corps social” y est si ancrée que le dernier décret ne manque pas de rappeler le “privilège” des médecins d’en assurer la direction[16]. Seules les crèches parentales ont de par leur création “indépendante” échappé à cette hégémonie du fait de leur “clandestinité” initiale.

 

La recherche d’une reconnaissance sociale par une visibilité alignée sur celles des éducateurs spécialisés, détenteurs d’une aura de travailleur social “labellisé”, risque d’extraire l’éducateur de jeunes enfants de la prise en charge relationnelle et individualisée des enfants au profit d’une organisation des interventions des autres personnels, moins qualifiés. De plus, existe le risque d’approcher les comportements éducatifs des parents comme “pathologie sociale” dans ce glissement vers l’urgence – signifiant un possible renforcement d’une “norme” éducative – alors qu’ATD Quart Monde signale justement la prédominance des placements pour carence éducative[17].

 

Je perçois une part de ce “désir d’appartenance” au travail social comme une position “mimétique” par rapport aux professions canoniques, symétriquement en opposition au secteur sanitaire dans un évitement de la réalité composite et hétérogène du secteur. L’appel aux “valeurs communes” est en soi insuffisant et l’invocation du social comme nouveau paradigme ne fait pas l’analyse de ce que cette dimension “sociale” a comporté au 19ème siècle de contrôle des populations ouvrières[18] avec son lot de discriminations (démission parentale). C’est l’identité même et la reconnaissance de l’ensemble du secteur professionnel “petite enfance” qui est en jeu dans ses liens incertains et fragiles avec le travail social car cette revendication apparaît de mon point de vue comme “stratégique” plutôt que véritablement élaborée.

 

IV – Relier prime éducation et travail social ?

 

Or justement la petite enfance peut apporter un certain renouvellement dans l’approche de l’intervention sociale, du côté de sa spécificité, de par les évolutions qu’a permis l’entrée des parents dans les institutions et enfin de par une position originale d’une fonction de service au public.

 

Ainsi du côté de l’exercice professionnel on doit signaler qu’à la sortie de l’univers clos de l’institution – par delà les crèches parentales – les professionnels de l’enfance commencent à s’ouvrir aujourd’hui sur la famille pour la reconnaître comme un acteur incontournable de leur propre intervention. On peut dire que là où “les travailleurs sociaux” interviennent sur les “sujets” eux-mêmes – ou par le biais de supports secondaires (activités collectives) – les professionnels de l’enfance interviennent sur (pour et par) l’enfant par le détour de la “médiation éducative” dans une triangulation dont l’enfant est le destinataire et la famille bénéficiaire ; ils ont donc un accès direct au dialogue et aux préoccupations éducatives des familles hors de toute “urgence”. Ils se doivent de “médier” leur intervention dans un contexte favorable, à “l’écoute d’une résonance”[19] si tant est qu’ils reconnaissent la double appartenance de l’enfant ; accueilli institutionnellement, celui-ci se socialise au regard de la culture du lieu sans devoir renoncer à son appartenance culturelle première, sa famille. C’est cette nouvelle logique qu’intègre progressivement les professionnels de l’enfance. Elle donne une force et une légitimité nouvelle à ce secteur. Car en ces temps de “parentalité” appuyée et de “médiation”, les professionnels de l’enfance ont une entrée directe et opérationnelle dans cette recomposition de l’action sociale.

 

Du côté des structures d’accueil, ne faudrait-il donc pas penser à partir du service, de l’organisation elle-même entendue comme intégrée à un contexte ? dans une mission réorientée vers son environnement économique, social et culturel[20] ?  L’institution d’accueil collectif du jeune enfant, lieu de garde, de soin et d’éducation ne doit-elle pas se réinventer dans et par le social comme dimension unificatrice des interventions de chacun vers un enfant abordé globalement dans sa propre unité, dans son lien indissociable d’avec sa famille située en contexte ? Cette dynamique nouvelle permettra alors à l’organisation de devenir “apprenante” du fait d’une ouverture sur son environnement. Requalifier l’équipement, qualifier les personnels dans une culture commune de l’intervention et dans une ouverture sociale et culturelle ne doit-elle pas conduire les professionnels au service de l’enfant et de sa famille, à prendre en compte les problématiques locales, politiques, économiques, culturelles, sociales – et finalement à entrer dans la dynamique du développement social local, bien plutôt que d’invoquer les mannes du service social ? Ce serait à la fois maintenir sa spécificité tout en intégrant le niveau social des préoccupations actuelles.

 

Dans ce contexte, et à une échelle évidemment réduite, l’apparition des crèches parentales signifie de son coté que ce tournant a déjà été en partie pris “institutionnellement” et organisationnellement.

En effet depuis plus de vingt ans, professionnels et parents de ces structures d’accueil, inventant autour du jeune enfant un partenariat socio-éducatif parent-professionnel, repositionnent “discrètement” l’intervention sociale à deux niveaux :

- en externe : sur le plan social, cette nouvelle place des usagers comme créateurs de leur service renverse les relations habituelles entre institutions et usagers. Elle vient donc signifier une nouvelle relation possible entre “aidants et aidés” qui interroge les logiques historiques et structurelles de la fondation du travail social ;

- en interne : par le développement du partenariat sur le plan éducatif (co-éducation), elles questionnent la place respective de l’usager et du professionnel en conduisant à redéfinir les logiques d’intervention vers l’enfant. Elle vient ici interroger la frontière d’une conduite de l’intervention entre expert et “profane” en signifiant une place différente, un nouveau possible, pour le destinataire de l’intervention. C’est l’ouverture d’une “interface” (comme nouvelle “zone de droit”) où peut se discuter, enfin, le sens et la finalité de l’intervention professionnelle.

 

Ainsi les “travailleurs sociaux” se doivent-ils de repenser leur place, leur rôle, le sens et la finalité de leur action dans une “adaptation” aux nouvelles problématiques d’une intervention sociale “de crise” et “en crise” !

 

De fait les interrogations qui ont suivi les modifications de l’organisation du travail social (circonscriptions d’action sociale, logiques territoriales, déconventionnement CAF / Conseil Général, dispositif de “médiation”, médiation familiale, etc.) au regard de nouvelles thématiques “transversales” (actions collectives, développement social local, participation des usagers, etc.) dans une période où la place de l’usager, citoyen, enfin acteur et sujet de droit(s) devient une interrogation centrale, vont-elles dans le même sens. Si la question des “médiations”[21] émerge aujourd’hui, c’est parce qu’elle répond profondément à ce besoin de repositionnement de l’intervention aujourd’hui fragilisée entre commanditaire et public destinataire. Il n’est donc pas inutile de se pencher ici sur les apports du secteur petite enfance sur cette question des “médiations” du fait d’une position doublement intéressante pour le champ du travail social : du côté des familles via le lien éducatif à l’enfant dans la recherche d’un partenariat éducatif d’une part et de leur positionnement en tant que service intégré de l’autre.

 

Il nous faut donc maintenant voir comment cette question de la médiation éducative se travaille en s’articulant sur la notion de compétence en crèche parentale, prise ici comme un laboratoire de l’innovation (son statut pendant 20 ans au regard de la circulaire du 24 août 1981) et ce qu’elle est toujours au vu des évolutions constantes portées par la dynamique participative.

 

De fait, c’est dans la rencontre entre compétence des parents et des professionnels, dans leurs interventions respectives que se dessine cette nouvelle problématique de l’intervention sociale. La ressource (et la fragilité) des interventions vers l’enfant se situe dans la reconnaissance d’un large recouvrement d’actes partagés entre parents et professionnels[22].

 

Redessiner la frontière entre action professionnelle et profane autour de la notion polémique de compétence et montrer comment se construit l’intervention vers l’enfant dans ses interactions multiples peut nous permettre d’éclairer à la fois une nouvelle place possible pour les professionnels et les usagers, montrer l’apport spécifique “ actuel et potentiel” des modes de garde à la question du travail social, du lien social et de ses ponts vers les problématiques du développement local[23]. Ici les enjeux des pratiques seront déconstruits pour en chercher le sens.


 

V – La question de la compétence et de la légitimité de l’intervention parentale

 

Quel cadre de référence pour la notion de compétence ? [24]

 

Au regard de la capacité comme potentiel (définie comme statique, intrinsèque au sujet) la compétence renvoie à l’expérience, à la construction des savoirs d’action et de procédure dans un contexte cadré, orienté sur la finalité de l’organisation, où un professionnel intervient avec des pairs dans une activité finalisée. La compétence pourrait[25] être “ce qui se fonde en situation d’action”. Elle recouvre une dimension dynamique, “constructiviste” et n’appartient pas seulement à l’acteur mais relève aussi en partie de l’environnement, du “contexte”[26].

 

D’un côté pour le professionnel il s’agit de compétences spécialisées (que nous dirons “techniques” en référence à un apprentissage qui s’est réalisé en formation initiale et continue). Liées à un référentiel de tâches pré-établies, de “compétences” à acquérir, de contenus de formation, elles sont contextualisées et relatives, cumulatives et perfectibles, par nature transférables. Sa compétence éducative est de nature pédagogique, c’est à dire qu’il organise l’environnement dans une finalité conforme à la formation reçue, à ses objectifs professionnels, aux valeurs et identité de son métier. Il guide l’enfant dans un étayage technique au nom de la société dans une mission “délimitée” et pour une durée limitée.

 

De l’autre côté pour le parent il s’agit de compétences “générales” (non spécialisées) liées à la situation de filiation. Pour le parent son rôle de “premier éducateur de son enfant” le met en situation de développer des “compétences éducatives”. Le terme employé est identique[27] car la nature de l’activité participe d’un même mouvement (tâches similaires), cependant celles-ci ne ressortent pas du même processus ni de la même finalité. Le parent aime, éduque, conduit, nourrit et transmet, en s’inscrivant et inscrivant sa progéniture dans l’histoire d’une lignée et dans une durée qui recouvre sa vie et au-delà.

 

Légalité et / ou légitimité ?

 

Légalité et légitimité, parents et professionnels l’ont tous les deux sur des registres différents : généalogie et institution (l’Association) pour l’un, diplôme et mission sociale pour l’autre. C’est une reconnaissance mutuelle de ces différents niveaux qui fonde la possibilité d’une intervention au quotidien des uns et des autres sur le mode d’une autorisation à intervenir réciproque… en partie implicite. Les parents s’appuient sur une légitimité de représentation[28] (démocratique/association) les professionnels sur une légitimité de compétence (liée au diplôme). La légitimité institutionnelle – par les règlements – est ce qui autorise l’action congruente de chacun.

 

Y a t-il une légitimité de compétence possible pour le parent intervenant ?

 

Dans un contexte social le point de la légitimité de compétence fait problème pour les parents puisque non fondée sur un diplôme. La légitimité institutionnelle garantit leur intervention sans résoudre ce point. Il nous faut donc travailler dans une nouvelle direction pour tenter de comprendre ce qui peut légitimer l’appellation de “compétence parentale” pour signifier l’intervention éducative parentale, qu’elle soit familiale ou, dans le cas qui nous occupe, “sociale”. Il nous faut définir la compétence éducative parentale en reprenant quelques repères proposés par le courant de l’éducation familiale [29] où la notion est utilisée pour faire référence aux pratiques éducatives parentales. Après quelques mots sur la famille, j’en viendrai à l’expression sociale de cette compétence.

 

Si l’on tient compte du fait que parent et enfant se découvrent, se fondent l’un l’autre dans un rôle et une action réciproque (comme l’ont montré de nombreuses études sur les interactions mère / enfant) alors seul le terme de compétence peut rendre compte de ce processus d’ajustement du lien affectif. Ces actes éducatifs, affectifs, nourriciers, sont en actualisation permanente afin de s’adapter (il y a des ratés !) tout au long de la vie aux besoins des enfants. Il y a des attitudes spécifiques et différentes pour chaque enfant, des savoirs spécifiques qui sont développés ; savoirs “profanes” au statut de savoir-faire – avec toute leur ambiguïté et rappelons que c’est ce qui pendant longtemps a fondé la reconnaissance (certes dévalorisée) des femmes à pouvoir “naturellement” s’occuper des enfants. Ces véritables savoir-faire (nourrir, endormir, jouer, surveiller, repérer une fatigue, prévenir un danger, gérer une colère, un “caprice”, éveiller, stimuler, “enseigner”[30], etc.) se transmettent comme tels. Il y a là bien sûr une référence à nos propres modèles de pratiques reçus, hérités, intégrés de notre passé d’enfant qui peuvent donner lieu à une véritable formalisation en une proto-théorie d’éducation dite “spoused theory” (mais qui n’est pas toujours en adéquation avec l’observation des pratiques réelles). Mais ces savoirs se limitent à nos propres enfants. Or il se produit quelque chose de spécifique dans son extension dans le social. Qu’en est-il ?

 

Tout d’abord il faut rappeler que ces considérations ne masquent en rien le recouvrement dans le champ professionnel. Il est nécessaire à mon sens d’accepter ce frottement au risque de la tension. Mais celui-ci peut aussi nous révéler autre chose sur la nature de relations tissées de rivalité entre parent et professionnel. Car si nous avons bien conscience du conflit de représentation avec le champ professionnel, ne pourrait-on y lire dans un renversement de symétrie, la crainte de voir des parents se réclamer d’une compétence dans le social venant choquer la ligne de démarcation qui a permis au savoir professionnel de se constituer ? On peut aussi interroger ce que ce terme vient finalement éclairer : ce recouvrement des tâches entre parents et professionnels autour de l’enfant fragilise des professions déjà peu reconnues[31].

 

À quel titre intervient le parent ? Une compétence et une place fondée sur la parentalité.

 

Le point nodal de la compétence éducative des parents en contexte institutionnel est la notion de “place”. En reliant le concept de “compétence” à celui de “place institutionnelle” plutôt qu’à une fonction on peut avancer sur la question du sens et du fondement de cette compétence non formalisée que met en oeuvre le parent, comprendre au nom de quoi il intervient et la nature de sa légitimité. Si nous reprenons la définition et les distinctions proposées par Didier Houzel[32], la parentalité peut se définir autour de 3 axes : l’exercice de la parentalité (comme droits et devoirs dans la filiation), l’expérience de la parentalité (affective et imaginaire) et pratiques de la parentalité. Je situerai pour ma part le cadre d’exercice social de cette compétence parentale en tant que “pratiques de parentalité” pour spécifier l’intervention éducative vers d’autres enfants, celle-ci étant légitimée institutionnellement par les deux premiers axes (filiation, affect et imaginaire).

 

Nous pouvons signaler que cette intervention éducative parentale auprès d’enfants dans un contexte d’éducation collective met en jeu en tant que parent et à cette place, une dynamique construite “d’affiliation” en appui sur le processus de la “filiation” et de sa mobilisation affective qui procède par délégation entre adultes et dans une autorisation à intervenir “réciproque” garantie par le professionnel représentant le “mandat social”. Par affiliation j’entends le choix d’un lien ; celui-ci fonctionne par extension d’une relation “intime” vers le social, par transfert d’affects. Il y a en quelque sorte constitution temporaire d’un “groupe familial élargi” autour de l’accueil d’un enfant et de sa famille et qui ressort du lien social.

 

Cette place ne peut se comprendre que prise dans l’institution qui la fonde et si celle du professionnel ne fait aucun doute en qualité de salarié d’une association, celle du parent mérite qu’on s’y arrête. S’il prend place en tant que parent et en son nom dans un cadre, une organisation, une institution, c’est aussi dans un temps (une durée), un espace (un lieu), une forme (ses modalités). Ce sont les coordonnées d’une place – et d’une seule. Elle est à la fois unique et institutionnelle : celle de ce parent là.

 

Cette place est matériellement rattachée à ce lieu et symboliquement relative à la place prise, elle prend son sens dans la relation à son enfant dont elle est la raison, elle est limitée dans le temps à la période programmée et relative à la durée de la présence de l’enfant à la crèche (de un à trois ans) ; enfin elle représente un statut de par son institutionnalisation et se décline par ses composantes de fonction (co-éducateur) et de rôle (ce qu’il doit faire) et d’attente de rôle (ce qu’on attend de lui). Elle vise à pouvoir s’adresser aux parents et enfants des autres, elle est effective par délégation (d’autres parents, du professionnel) et se fonde sur la parentalité.

 

La “compétence de contexte” : une proposition alternative ?

 

Quant aux compétences particulières développées tant par les parents que les professionnels elles sont ce que nous pourrions appeler une compétence de contexte[33] – et donc contextuelle, particulièrement rattachée à ce contexte là – que j’entends comme “pertinence d’une action dans un contexte au regard d’une place légitimée institutionnellement” à la différence de la compétence professionnelle référée à des savoirs et légitimée socialement par le diplôme. Si toutes les compétences s’expriment en contexte, ici c’est à une qualité de l’environnement que je souhaite faire référence. En effet sur des registres différents, parents et professionnels semblent mobiliser dans ce cadre particulier des compétences non formalisées.

 

- Pour le parent nul besoin de formalisation, elles sont simplement utiles dans ce cadre là à ce moment là, à la fois portées par le groupe de pairs et accompagnées par le professionnel.

- Pour le professionnel elles se situent en périphérie de ses compétences et savoirs formalisés. C’est par exemple lors d’un constat tel que “chaque année le changement de groupe de parents est une nouvelle crèche” ; le professionnel faisant entendre clairement l’attention qu’il va porter aux processus de l’action plutôt que d’emblée chercher à faire adhérer chaque “groupe” à la structure telle qu’elle a été conçue pour d’autres. C’est en quelque sorte préférer les “situations problèmes” aux solutions “toutes faites”.

 

Ainsi la compétence de contexte est le produit des interactions entre l’institution et son environnement, la position que chacun y occupe, l’histoire de la structure et les acteurs qui y interviennent. L’interaction parents professionnels et le cadre institutionnel créé permettent de développer de nouvelles compétences – avec cette interversion paradoxale et permanente des niveaux propre à cet équipement[34] – qu’aucun professionnel n’a appris en formation initiale. Si toutes les performances dépendent du contexte (expressivité de la compétence), la dynamique coopérative pour reprendre Vigotsky, en créé de nouvelles[35].

 

Comment s’articulent parents et professionnels : quelles sont leurs interactions ?

 

Les enjeux de cet investissement s’appuient sur une prise de risque pour chaque acteur lié à une exposition “intime”, autour d’un “don de soi”. Dans ses fragilités le parent “exposé” peut se trouver confronté à ses limites propres de sujet et de parent face à la jalousie, la colère de son enfant, les limites de l’institution, ou devant ses propres compétences ou incompétences (cuisine, activités, intervention éducative…).

 

Quant aux professionnels, il s’agit de leur responsabilité professionnelle engagée au nom d’une éthique de l’intervention et d’une position citoyenne ; quelles sont les valeurs défendues par ces derniers lorsqu’ils acceptent de travailler dans cette difficile posture d’exposition aux parents ? Cet engagement n’est-il pas contenu dans leur éthique professionnelle même ? N’est-elle pas un moyen de surseoir au rapt, affectif et symbolique de l’enfant que d’accepter de s’engager dans ces interactions risquées ? Un intérêt supérieur pour l’enfant n’est-il pas recherché dans cette démarche ?

 

De fait le professionnel y investit son implication dans un collectif au travail, joue une visibilité sociale et une reconnaissance professionnelle. Enfin, s’il y expose aussi sa personne, sa pratique, ses convictions, ses richesses et faiblesses sous le regard de son employeur et usager[36] (qui évalue “directement” son travail), il lui revient de prévenir les dérives individuelles possibles de certains en rappelant qu’il dépend d’une association qui l’emploie (et non des individus) et d’un projet collectif (projet éducatif et règlement intérieur) dont il est le garant vigilant au quotidien : au nom de l’intérêt de l’enfant et de l’équipe (dont fait partie … le parent !).

Mais l’un et l’autre y trouvent, au sortir du “destin” d’une relation parfois limitée à l’enfant comme seul destinataire et partenaire, l’espace d’une rencontre possible entre adultes autour d’un projet éducatif au service de l’enfant. C’est le fait d’une socialisation réciproque inédite – celle d’un mode de socialisation originale pour le parent, et d’une “socialisation de ses actes professionnels” pour l’éducateur[37] – placée sous le signe d’une responsabilité partagée.

 

Conclusion  : quelle place pour la prime éducation ?

 

Dessiner des liens entre petite enfance et travail social c’est signifier une nouvelle place aux modes de garde/structures d’accueil dans leur contexte, s’ouvrant sur le partenariat et le développement local. Du côté des professionnels de la petite enfance, s’il faut reprendre l’architecture des métiers et formations, on doit souligner la particularité des professions éducatives dans la mise en oeuvre de médiations, dans une zone d’intervention non-stigmatisante où se redistribuent les significations entre experts et profanes. Mais il est légitime de s’inquiéter d’une perte possible de cette référence éducative en cherchant une intégration au cœur du travail social sans interroger ce mouvement. Ainsi les crèches parentales ont-elles montré la voie pour une nouvelle approche de la question du travail social et de l’intervention, en ré-interrogeant les pratiques et l’interaction entre parent et professionnel ; elles viennent repositionner un débat sur la compétence qui laisse émerger de nouveaux possibles.

 

Dépassant le débat polémique sur cette notion, nous pensons que se joue, dans l’espace d’une rencontre autour d’un projet collectif tourné vers les enfants, une double socialisation, une alliance autour d’un sens pour l’instant encore indécidable quant aux transformations à-venir des interventions sociales. Au-delà encore, les crèches parentales contribuent à redessiner le lien social. Questionnant le travail d’être et de devenir parent aujourd’hui elles interrogent le lien social et font redécouvrir à chacun qu’on ne peut élever un enfant sans références collectives partagées.

 

Les lieux d’accueil peuvent saisir cette opportunité à la hauteur des enjeux que suscitent la prime éducation pour les parents et les professionnels, mais aussi en prenant des positions “plus politiques” que strictement éducatives face aux grandes questions de société (travail précaire, éducation partagée, conciliation vie familiale et professionnelle, intégration, égalité des chances, parité, etc.). Enfin, en donnant une place différente aux usagers dans les services, en s’ancrant dans son environnement, ils peuvent tracer de nouvelles perspectives pour le travail social, et permettre que se dessine un nouveau visage des territoires et des dynamiques locales.

 

 

Didier Favre

Chargé d’études national à l’ACEPP

 


Références bibliographiques

 

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[1] Depuis 1989 celle-ci est devenue l’ACEPP : Association des Collectifs Enfants Parents Professionnels - Fédération nationale des crèches parentales, 15 rue du Charolais, 75012 Paris ; tel : 01.44.73.85.20 ; site Internet : http-www.acepp.asso.fr

[2] Solange Passaris, Michel Schiray, La participation parentale dans les modes d’accueil de la petite enfance. 2 - Le mouvement des crèches parentales et ses rapports avec les institutions, Document de travail, 13/84, Paris, EHESS / CIRED, 1984. Centre Ressources Acepp.

[3] Ce dont témoigne pour partie le regroupement administratif de nombreuses formations sociales au sein d’IRTS, Instituts Régionaux de Travail Social. Bien entendu, l’appartenance au “social” ne fait pas problème en soi surtout depuis les lois de décentralisation qui cadre la mission des établissements sur un territoire ; la question de cette mise en lien entre “travail social” et prime éducation en est d’autant plus cruciale.

[4] Le débat à l’ACEPP portant sur l’appartenance du réseau au développement social local plutôt qu’à l’intervention sociale ou le travail social, je ne développerai ici qu’une position personnelle.

[5] En existe-t-il une définition ? Yves Barel dans un texte de 1983, “Les enjeux du travail social”, Actions et recherches sociales, “Qu’est ce que le social ?”, n°3, nov. 1988, p. 23-40, en décline sa représentation : “Des politiques appropriées à des maux sociaux ou humains spécifiques” et s’étonne du consensus sur l’absence générale de définition : “Tout se passe comme s’il y avait d’un côté le discours officiel inévitable, mais dont il n’y a rien à dire, et, d’un autre côté, sans rapports avec le premier, les discours de dotation du sens” (p. 24). À partir de cette proposition il place le débat sur la question des enjeux. C’est là où nous essaierons de le suivre. D’autre part dans la revue Recherches et Prévisions, Travail social : trois points de vue, n°44, juin 1996, des analyses nous sont présentées ; on remarquera que les auteurs (Michel Autès, François Aballéa, Jean-Noël Chopart), ne proposent aucune définition du travail social ni n’évoquent dans leurs analyses la petite enfance comme partie du champ. Nous avons interrogé récemment Joël Cadière, sociologue et Directeur du Collège Coopératif de Lyon sur ce point. Faisant référence à une classification de l’Organisation Mondiale de la Santé établie dans les années 70 qui donne une place à la petite enfance, il distingue trois niveaux de prévention (sans référence au médico-social) : “primaire” au niveau des équipements “naturels” pour tout public ; “secondaire” regroupant les actions collectives à partir d’une problématique sociale hors mandat ; “tertiaire” s’inscrivant dans le curatif, l’individualisation et le mandat social. Malheureusement les références de ce document demeurent introuvables.

[6] Ces professions sont toutes de niveau III pour des durées presque identiques (assistants sociaux, éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants). À la suite des éducateurs spécialisés apparaissent dès 1968 les moniteurs éducateurs au niveau IV ; côté Santé les puéricultrices sont à niveau III et les auxiliaires de puériculture à niveau V. Enfin, pour Jeunesse et Sports et depuis le décret du 1er août 2000, le Beatep “Petite Enfance” (de niveau IV) autorise un exercice professionnel en crèche.

[7] Les salles d’asile liées au travail des femmes (en usine) sont développées par Denys Cochin “à l’instar de l’Angleterre” et mises en place dans une démarche autant sociale et hygiéniste que morale et éducative guidée par une peur “sociale” face à “l’enfance malheureuse ou perverse des classes ouvrières” ; in Sylvie Mansour “Enfance”, Dictionnaire encyclopédique de l’éducation et de la formation, deuxième édition, Paris, Nathan, 1998, p. 404-407. De ces dernières émergera l’école maternelle (1848) avec l’élaboration d’une pédagogie spécifique par Pauline Kergomard. Il faut signaler l’œuvre en France du Pasteur Vosgien Jean Oberlin qui ouvre en précurseur la première classe “maternelle” (1769, dite “école à tricoter”).

[8] Fondées par Firmin Marbeau à Paris ; instituées en 1862, reconnues d’utilité publique en 1869.

[9] Premier certificat la même année, mais il y eut une école privée de formation dès 1917.

[10] Les jardins d’enfants apparaissent en Allemagne avec Friedrich Fröbel vers 1840 ; plus anciens que l’école maternelle, ils évoluent en parallèle et selon Annick Karpowicz (1991, 2000) on constate que de 1911 à 1955 le métier de jardinière d’enfants se confond avec celui d’institutrice.

[11] Michel Autès, op.cit.

[12] Sauf à de rares exceptions de type pouponnières (1891), maisons d’enfants, CHRS, qui relèvent évidemment de la prévention spécialisée (ASE, etc.).

[13] La puériculture est une spécialité créée au milieu du 19ème siècle.

[14] Geneviève Delaisi de Parseval, Suzanne Lallemand, L’art d’accommoder les bébés. 100 recettes françaises de puériculture, Paris, Le Seuil, 1980.

[15] L’appellation “mode d’accueil” commence à apparaître à partir de 1975, et s’impose avec le rapport Bouyala-Roussille, L’enfant dans la ville, La Documentation française, 1982.

[16] C’est un rappel lancinant du rôle historique joué par le médecin au 19ème siècle et fortement signifiant de son rapport aux familles … et aux autres professionnels.

[17] C’est le “premier motif de placement de 150.000 enfants en France, les “mauvais traitements” n’arrivent qu’en cinquième position” et il y apparaît une bien plus grande part d’arbitraire. Paul Bouchet, Président d’ATD Quart Monde, Libération, 17 octobre 2000, p. 52.

[18] Luc Boltansky, Prime éducation et morale de classe, Cahiers du Centre de Sociologie européenne, Paris, Éditions des Hautes Études en Sciences Sociales, 1984.

[19] Myriam Mony, Christine Sarrazin, Didier Favre, “À l’écoute des parents, travailler la résonance : se former à la rencontre parent – professionnel”, actes des 14ème universités d’automne, congrès de Tours, Fédération des Éducateurs de jeunes enfants, Nantes, octobre 2001, p.155-183.

[20] Ce qui doit nous conduire à développer en continuité, après une pensée relationnelle, éducative et psychologique, une réflexion qui prenne en compte l’institutionnel, le système et sa complexité.

[21] Bruno Tricoire, La médiation sociale : le génie du “tiers”, Paris, Ingenium, L’Harmattan, 2002.

[22] Comme le montre le référentiel des tâches de “suppléance familiale”, in Paul Durning, Education et suppléance en internat, Paris, CTNERHI, PUF, 1986.

[23] Développement local envisagé dans une dynamique participative, “endogène”, construit à partir du terrain lui-même et non-technocratique. Cf. Françoise Brochet et alii, Vivre et entreprendre, guide de formation aux initiatives locales. Femmes en milieu rural. Centre de ressources ACEPP.

[24] Nous reprenons ici une partie de notre article en la modifiant ; “Employeurs et usagers en crèche parentale : une place paradoxale ! ”, La lettre du GRAPE Les parents usagers, n°46, décembre 2001, Toulouse, Érès, p.59-69. Les questions relatives au lien social ou au don ne seront pas développées dans le cadre de cette contribution.

[25] Définition personnelle puisque aucun auteur n’est en accord sur ces questions, de Daniel Hameline, à Gérard Malglaive, en passant par Guy Le Boterf ; en rappelant que la littérature sur ces points est sur-abondante et contradictoire.

[26] Il existe une dimension collective de la compétence : en effet celle-ci est souvent abordée comme un attribut propre à l’individu, certifiable et transportable, construit sur le même modèle que la capacité (dont elle serait synonyme). Si comme je le postule, la compétence est produite dans une rencontre avec un environnement, que celle-ci évolue dans une “adaptation” constante et une invention continue, on ne peut dénier que la compétence ressorte d’une dimension contextuelle et donc liée au “collectif” de l’organisation même du travail. Dans une chaîne d’intervention, au plan qualitatif c’est une compétence collective qui émerge de “comportements” individuels. Seuls dans l’organisation, nous ne sommes pas compétents, mais juste efficaces. L’efficience ressort de la compétence individuelle et collective, ce qui permet aux organisations d’être qualifiante / apprenante – a contrario si la compétence était purement individuelle (logique “libérale” de la flexibilité et de la mobilité des salariés), aucune organisation ne pourrait prétendre à cette qualité proprement “émergente”.

[27] À défaut (ou alors à dessein ?) car il n’existe pas d’autres termes à ma connaissance pour rendre compte de ce mouvement ; quant à capacité (parentale) il me semble bien inapproprié ici.

[28] Hélène Hatzfeld, Construire de nouvelles légitimités en travail social, Paris, Dunod, 1998.

[29] L’éducation familiale englobe plusieurs champs distincts qui relèvent aussi bien de l’activité des parents que des recherches centrées sur ces pratiques sociales parentales et “comprend également l’ensemble des interventions sociales mises en œuvre pour soutenir les parents dans leur tâche éducative auprès de leurs enfants” (p.38). Paul Durning, Education familiale, acteurs, processus et enjeux, Paris, PUF, 1995.

[30] Jean-Pierre Pourtois, Comment les mères enseignent à leurs enfants ?, Paris, PUF, 1979.

[31] Nous estimons à plus de 90% les professionnel(le)s de la garde d’enfant se situant à niveau V (auxiliaires de puériculture) et en dessous (assistante maternelle de jour et employées à domicile via l’AGED). Les rémunérations sont majoritairement basses, et le travail au domicile dominant.

[32] Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Erés, 1999.

[33] Concept que je dois à Myriam Mony et que je détourne peut-être de sa formulation initiale ...

[34] Myriam Mony, “La responsabilité des parents et des professionnels dans les structures d’accueil de jeunes enfants à gestion parentale et associative : production de savoirs nouveaux par la mobilisation des compétences de tous les acteurs”, Actes colloque ADRETS : Politiques sociales et qualité des modes d’accueil de la petite enfance, Lyon, mars 1993. Centre ressources ACEPP.

[35] Je dois cette reformulation à Michel Bass de l’AFRESC.

[36] En fait seul le président a juridiquement ce double statut particulier ; les autres parents sont des usagers-administrateurs. Mais il est vrai que chacun peut – à tort – se considérer comme une sorte “d’employeur individuel”.

[37] Marie Dominique Wilpert, “Une réflexion sur le rôle du tiers socialisateur au sein de la crèche parentale (à propos de supervision)”, Gazette de l’ACEPP, juillet 1989. Le terme de socialisation peut apparaître paradoxal ici pour un professionnel ; sauf à l’entendre au sens “éthique” du fait de l’entrée et du regard dans l’institution d’un usager devenu acteur social.

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