Quelle liberté de penser dans l’institution ? Rencontre de mars 2008

Compte-rendu proposé pour le séminaire de recherche n°2 de l’AFRESC

" Quelle liberté de penser dans l’institution ? "

15 mars 2008 ; au GRAPE, 75009 Paris

 

Nota : Ce texte est provisoire, suite au travail (scrupuleux et précis) de Xavier puis de Didier. Chacun a un droit de modification / ajout / transformation qui pourra s’exercer soit par mail soit en séance du 14 juin où nous le validerons

Participants : Marie Annick Deniel, Rémi Pelletier, Vincente Charmet, Gilbert Connil, Michel Bass, Sébastien Lodeiro, Anne-Marie Vanbeveren, Francine Tétu, Yves Buisson, Laurence Mazin, Odile David-Choukroun, Didier Favre, Florence de Gramont, Marie-Françoise Loussot, Patricia Krief, Xavier Cleray.

Introduction : C’est donc notre deuxième séance : comme prévu reprise de l’objet transitoire de travail, défini lors de la séance précédente : « à partir de nos pratiques professionnelles au quotidien, réfléchir ensemble, repérer, saisir les opportunités de la pensée interstitielle (là où ça pense dans les interstices) pour mettre au travail dans l’institution, notre liberté de penser », notre réflexion prenant appui sur les textes proposés.

Le groupe se propose de travailler l’esquisse d’une définition des interstices où notre liberté de penser dans nos institutions d’appartenance tente de s’exprimer. Chaque membre du groupe avait reçu deux textes à lire avant la séance : un extrait du texte de Johan Gottlieb Fichte sur la liberté de penser (avec un commentaire de Cyril Morana) et un extrait du livre : « Social Fictions, 2004, " les androïdes rêvent-ils d’insertion sociale ? " dirigé par Gérard Klein (« Droit électoral » de Isaac Asimov, 1955 ; et l’avant-propos au livre de G. Klein).

En début de séance, trois autres textes sont présentés  : un écrit de Gilbert Conil reprenant un travail d’analyse professionnelle avec une équipe de centre médico-social ; un texte proposé par Marie Annick Deniel sur le fonctionnement d ’ une bibliothèque universitaire ; un texte proposé par Patricia Krief, intitulé " la transgression validée ou l ’intelligence de l ’action " écrit par Jean Furtos ( psychiatre) et Serge Taradoux ( infirmier psychiatrique ) .

Débat :

D’entrée notre objet de travail pose problème (Gilbert, Odile et Yves) : on ne penserait pas dans les institutions et il suffirait d’entrer dans les interstices pour penser, de trouver des lieux de « désordre » qui échappent ? Ne devrions-nous pas plutôt parler d’opportunités à rechercher ? Pour Yves l’organisation empêche la pensée collective et cependant il existe pour d’espace collectif mais tous vidés de sens.

Penser autre chose que l’organisationnel ou l’opérationnel, penser dans les dimensions politique, relationnelle et symbolique ?

L’organisation scientifique du travail est toute entière tournée vers la production, empêchant ainsi la pensée de s’exprimer, ne laissant plus d’espace de création dans le travail. Produire équivaut à obéir aux prescriptions, l’organisation scientifique du travail étant conçu pour garantir la réussite de la production. Sur la gestion des risques et sur la place respective de l’homme et des machines dans les dispositifs de sécurité.

Didier cite l’exemple d’une recherche sur les procédures appliquées par les contrôleurs aériens. L’objectif est de réduire constamment le facteur de risque humain. Or les accidents se produisent justement parce que les techniciens sont de moins en moins confrontés au risque et à sa gestion. Invariablement, la proposition de solution vise à renforcer le contrôle des machines sur l’homme ce qui a paradoxalement pour conséquence d’augmenter le facteur de risque. La « foi » est dans le système de contrôle, pas dans la capacité de l’homme à agir ni penser sa condition, sa responsabilité, sa marge de manœuvre et de risque.

La liberté de penser, droit inaliénable selon Fichte, est une longue conquête humaine.

Pour Xavier elle commence, pour chaque génération, par une émancipation de la culture familiale dans laquelle nous avons grandi, en luttant plus ou moins pour nous différencier de nos parents et nos frères et sœurs.

Ce processus de différenciation est également à l’œuvre dans la culture sociale, comme l’illustre l’exemple apporté par Rémi Pelletier, la figure du "malade réformateur social" à l’origine de la fondation de l’association AIDES. En ce sens, les cultures organisationnelles ne mettent pas en scène les mêmes problèmes. Le mode associatif laisserait une plus grande « liberté » ou créativité aux acteurs.

Les modèles d’organisation, services publics ou associations, influent-ils sur la circulation de la pensée au bénéfice de l’intelligence partagée ? Dans les deux modèles, s’exercent des jeux de pouvoir, même si le cadre des valeurs diffère ; dans ces deux systèmes, la morale de référence de chacun est-elle interrogeable ? Comment distingue-t-on valeurs et idéologies ?

Une question posée par Odile interroge les références de chacun : "qui garantit quoi dans l’institution, qui sécurise le groupe ? »

Didier propose ce qui fait repère pour lui : « chacun est garant pour soi, personne ne garantit rien pour les autres (au sens où chacun est garant du collectif ’’en soi’’) ».

D’autres propositions enrichissent le débat : pour Marie Annick, c’est, dans une organisation, être garant des missions, formule souvent utilisée dans les fiches de poste de la fonction publique ; pour Patricia c’est être garant des moyens mis en oeuvre pour former les futures professionnels de l’école de puériculture ; et donc être garant du cadre ... elle introduit ainsi le texte de Jean Furtos pour proposer la nécessité d’une « transgression validée », c’est à dire ce que le cadre doit aussi permettre …

Michel Bass énonce le postulat suivant : l’institution construit son organisation sur la défiance, comment permettre alors l’émergence de la confiance, comment fonder une sécurité commune dans la réciprocité ?

Le projet d ’ Ivry mené par l’AFRESC illustre bien ces exigences : un groupe intervenant auprès de jeunes vivant dans la rue, travaille à la création d’un lieu d’accueil et imagine les règles suivantes : « pas de consommation de toxiques, pas de deal, pas de violence », règles qui peuvent apparaître comme des précautions au regard des risques de débordements des gens accueillis ; mais c’est comme si le règlement pouvait résoudre les problèmes avant même qu’ils n’apparaissent.

Et qu’est-ce donc d’autre qu’envoyer le message paradoxal suivant : on recherche un public spécifique mais il doit cadrer avec des exigences qui sont justement le déni de son existence propre (ces gens existent, apparaissent dans l’espace public et interviennent dans l’institution à partir de ces mêmes caractéristiques déviantes : « soit un lieu avec des gens qui ne soient pas les gens ! »).

Sébastien Lodeiro, se référant à son expérience en Afghanistan, témoigne de la possibilité d’entrer dans une institution pour créer de nouveaux réseaux en provoquant du désordre qui génère de la défiance. Quand le groupe de projet devient menaçant pour l’institution en provoquant de la conflictualité, il est phagocyté ou dissout par l’institution.

Comment les normes sont-elles alors produites ?

Michel Bass propose une référence au bureau des normes européennes en matière d’hygiène alimentaire appliquées dans les crèches, normes produites par un collège d’experts scientifiques : ces normes sont inapplicables si elles ne passent pas par le filtre de la reconstruction de normes opératoires partagées par les professionnels de la crèche, à partir de ce que chacun fait à sa façon.

Reprenant l’exemple du projet d’Ivry, Michel et Didier proposent d’interroger les pratiques des jeunes qui passent dans le lieu d’accueil, avec eux, pour produire des normes (dynamique institutionnelle instituante).

Au fil des débats, plusieurs définitions d’interstices de pensées émergent :

Gilbert Conil : l’interstice n’existe pas, il apparaît dans un événement (référence à la situation de la visite de l’élu dans un centre social et de la mise en scène du jeu de lego, du téléphone portable, du non-dit des équipes : quel « jeu » se joue-t-il là ?). Il faut agir dans le processus.

Rémi Pelletier : « l’interstice, c’est la faille, le lieu où le pouvoir a oublié de s’exercer »,

Michel Bass : « là où se crée du désordre dans le bureau des normes ou encore le lieu où l’on n’a pas d’autre choix que de se faire confiance, là où les règles et les pratiques deviennent interrogeables et modifiables »,

Didier Favre : « l’interstice, là où l’on prend le risque de se laisser transformer par l’autre ».

En conclusion de séance, deux propositions sont faites aux participants :

  • Sébastien propose un texte de référence pour la séance de Juin.
  • Puisque l’idée est aussi de s’appuyer sur l’analyse de nos pratiques qui souhaiterait écrire un texte sur ses pratiques professionnelles, comme l’a fait Gilbert Conil, et le proposer comme support de travail en Juin ?

Enfin, il est demandé de diffuser tous les textes proposés à la lecture et au travail des participants lors de cette séance. Didier doit s’en charger.

 

 

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  • 2008
  • Quelle liberté de penser dans l’institution ? Rencontre de mars 2008


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